Episode 7

Proctor s’enfonça comme à son habitude dans son fauteuil, une précaution inutile cette fois-ci puisqu’il était déjà caché derrière ses deux gardes du corps, un détail auquel j’espérais que Roxane avait songé puisqu’il ne m’avait pour ma part pas effleuré l’esprit.
Je jetai un regard à mon amie, qui avait sans surprise elle aussi remarqué les deux fusils à pompe pointés dans notre direction, et attendis avec une patience que j’estimais admirable -- même si elle était ma seule option -- qu’elle m’indique comment nous allions sortir de cette situation.
GARDE : On en fait quoi patron ?
Proctor sembla hésiter un instant, ne comprenant manifestement toujours pas que nous étions à sa merci et non le contraire.
PROCTOR : Enfermez-les avec l’autre pour le moment. Nous nous occuperons d’eux quand nous aurons géré cette émeute.
Contre toute attente, la jeune femme haussa un sourcil et leva les mains en signe de capitulation, ne me laissant d’autre choix que de l’imiter, confiante qu’elle avait un plan qu’elle finirait par m’expliquer lorsque toute cette histoire serait loin derrière nous.
Proctor ouvrit la marche, suivi de près par Roxane et moi, puis par les deux gorilles qui n’avaient toujours pas baissé leur garde.
PROCTOR : Par ici. Vos uniformes devraient nous aider à passer inaperçus.
VISALA : Sans oublier les moustaches.
Un des gardes me mit un désagréable coup de crosse entre les épaules, m’arrachant un cri de douleur et manquant de me faire trébucher. Roxane le dévisagea longuement et lui adressa un sourire carnassier sans un mot, un comportement qui indiquait généralement que la jeune femme avait un plan, et que Flux ne l’approuverait pas.
ROXANE : Où est-ce que vous nous emmenez, Proctor ?
PROCTOR : Dans une des cellules d’isolement. Votre ami y est déjà depuis que mes hommes l’ont surpris à se mêler de ce qui ne le regardait pas.
La jeune Meastienne rit doucement, bien trop décontractée au goût de nos trois hôtes.
ROXANE : Flux et sa curiosité...
PROCTOR : Un défaut sans lequel nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Si les couloirs que nous arpentions étaient tous vides et silencieux, j’entendais non loin de nous les bruits de lutte acharnée entre les détenus et les gardes, et espérais tout de même que Jose ne serait pas trop cruel avec eux.
Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes dans un long corridor, plus gris et plus sombre que les autres, que je reconnus comme étant l’aile des cellules d’isolement. C’est ce moment que Roxane choisit pour prendre la parole, et mon enthousiasme initial à l’idée de passer enfin à l’action s’estompa rapidement lorsque je réalisai avec déception qu’il n’était pas encore temps de retourner la situation à notre avantage.
ROXANE : Quelle heure est-il ?
PROCTOR : Pourquoi ?
ROXANE : Je me demandais, c’est tout.
Le petit homme soupira mais jeta poliment un regard à sa montre.
PROCTOR : Quatorze heures.
ROXANE : Ah... Bigot.
PROCTOR : Quoi ?
ROXANE : Oh ce n’est rien... Je me disais juste que nous allions manquer Shisiki O furashu.
VISALA : Ah... Bigot.
PROCTOR : Shisiki O quoi ?
ROXANE : Oh, vous ne connaissez pas ? “Amour et Vengeance” C’est une excellente série Jiannaise. Je crois que Visala aime assez d’ailleurs.
VISALA : Assez ? C’est ma série préférée tu veux dire !
ROXANE : J’ai arrêté de suivre il y a un moment, je ne sais même plus où en est l’intrigue.
VISALA : Oh, c’est la meilleure saison ! Jaïmu est dans le coma mais il ne devrait plus tarder à se réveiller, et lui-seul sait qui a tué son frère Akana ! Mais Masana veut empêcher Jaïmu de se réveiller pour lui voler son entreprise. Je déteste Masana, je sais bien qu’elle n’a pas eu une enfance facile, mais ce n’est pas une raison. De toute façon je pense qu’elle va mourir bientôt, elle a une maladie rare, une sorte de grippe je crois, mais en plus grave. C’est que Jose et moi on regarde ça en version Jiannaise, c’est mieux. Il y a des sous-titres, hein, mais des fois les personnages parlent trop vite, ça ne laisse pas assez de temps pour tout lire. Je suppose qu’on pourrait regarder la version doublée en Odysséen, mais les mouvements des lèvres ne correspondent pas à ce qu’ils disent et ça énerve Jose. La dernière fois il a cassé la télécommande à cause de ça. Le pire c’est qu’il ne fait pas attention aux sous-titres, donc je dois lui lire à voix haute, c’est pas facile pour se concentrer sur l’histoire. Oh, et Hoshiro, j’ai oublie de parler de Hoshiro ! Hoshiro a retrouvé sa mère biologique, mais elle a une soeur jumelle qui veut tuer...
Un autre violent coup de crosse m’envoya à terre alors que le garde qui marchait derrière moi s’était arrêté et hurlait de rage sans aucune raison apparente.
GARDE : Mais tu vas la fermer ?!
Un coup de feu répondit à l’homme, le touchant en pleine poitrine et l’envoyant voler plusieurs mètres plus loin, sans vie.
Je me relevai en me massant la nuque, et me tournai pour faire face à Roxane, qui avait profité de la saute d’humeur du garde pour désarmer et immobiliser son collègue et braquait à présent son fusil à pompe sur la tête de Proctor, qui réalisait lentement que les choses ne s’annonçaient pas si bien pour lui et tremblait à présent comme une feuille, à deux doigts de la crise cardiaque.
Mon amie sourit de toutes ses dents à son otage, puis à moi, affichant un air satisfait.
ROXANE : Bien joué, Visala.
VISALA : Tu m’as encore utilisée comme diversion, n’est-ce pas ?
ROXANE : C’est pour ça qu’on fait une si bonne équipe, toi et moi.
La Meastienne laissa échapper un éclat de rire avant de tourner toute son attention vers Proctor.
ROXANE : Maintenant, Monsieur Proctor, je ne poserai ma question qu’une seule fois : où est Flux ?

Je poussai Proctor d’un geste agacé, réalisant qu’il ne parviendrait jamais à déverrouiller la cellule tant qu’il ne cesserait pas de trembler de la sorte, lui arrachant des mains son trousseau de clés et ouvrant moi-même la porte métallique dans un soupire que j’espérais suffisamment vexant.
Flux se leva nonchalamment de son banc et sortit d’un pas paisible.
FLUX : Je commençais à me demander si vous ne m’aviez pas oublié.
Il me jeta un regard intrigué, puis à Roxane, haussa un sourcil et pencha la tête d’un air perplexe.
FLUX : Portiez-vous déjà la moustache la dernière fois que je vous ai vues, ou ai-je passé si longtemps derrière les barreaux ?
ROXANE : Longue histoire, Flux.
VISALA : Pas vraiment, j’avais un marqueur et...
Notre ami m’interrompit d’un geste amusé, manifestement aussi heureux que nous de ces retrouvailles.
FLUX : Vous me raconterez ça plus tard.
Ses yeux se posèrent alors sur le directeur de l’établissement, ainsi que sur le fusil qui s’enfonçait de plus en plus dangereusement dans son dos, et afficha un air blasé.
FLUX : C’était donc aussi simple que ça, n’est-ce pas ?
ROXANE : Je savais que j’aurais mieux fait de descendre ce loquard quand j’en avais l’occasion...
FLUX : La corruption est une chose, Monsieur Proctor, mais vous en prendre à vos détenus...
PROCTOR : Vous ne m’avez laissé aucun autre choix ! Vous et ce foutu policier, si c’est bien ce qu’il était !
ROXANE : Oh, Glass était bien flic.
PROCTOR : Qu’est-ce que j’étais censé faire, d’après vous ? Bowen savait tout de notre collaboration ! S’il disait quoi que ce soit à son avocat, j’étais un homme mort !
ROXANE : Non, juste un homme fini. Vous auriez peut-être passé la fin de vos jours derrière vos propres barreaux. Maintenant, cela dit, vous êtes un homme mort.
Proctor déglutit, à présent convaincu que ceci n’était pas sa journée.
VISALA : Attendez une seconde... Proctor était le méchant ?
Flux et Roxane me laissèrent réfléchir un instant sans réponse.
VISALA : Pourquoi est-ce que je suis toujours la dernière au courant ?
FLUX : Je suis prêt à parier que Jose ne se doute toujours de rien. D’ailleurs, où est Jose ?
ROXANE : Probablement occupé à détruire le réfectoire chaise par chaise avec son nouvel ami.
Réalisant soudain que cette conversation commençait à l’ennuyer, la jeune femme poussa d’un coup de pied le deuxième garde dans la cellule maintenant inoccupée et me fit signe de refermer la porte, retenant d’une main Proctor alors que celui-ci espérait suivre son complice en sécurité.
ROXANE : Pas vous, Monsieur Proctor. Vous allez nous tenir compagnie un peu plus longtemps.
Le petit homme avala de nouveau sa salive, le teint de plus en plus pâle.
Son implication dans cette histoire me semblait à présent évidente, mais j’en voulais tout de même un peu à mes amis de ne pas m’en avoir touché un mot plus tôt.
J’étais aussi un peu agacée d’avoir raté Shisiki O furashu...
A suivre...