Episode 4

Le vieux gardien me guida à travers les couloirs sombres de la prison, faisant de son mieux pour rester naturel malgré l’inquiétude évidente qui le rongeait. Je le suivis tranquillement, coopérant gentiment à chaque fois qu’il me demandais d’un signe discret de rester derrière lui avant de changer de pièce, estimant que je lui devais bien cela après son très sympathique sauvetage. J’étais cependant bien moins sujette que lui à l’angoisse et bien plus à la curiosité, et si je parvins à me retenir de lui poser toutes les questions que j’avais en tête pendant les premières minutes de notre promenade, je brisai finalement le silence que je trouvais de toute façon un peu pesant, prenant tout de même soin de ne pas parler trop fort :
VISALA : Moi c’est Visala, au fait. Merci de m’avoir sortie de là, j’aurai une conversation à ce sujet avec notre collègue.
LUI : Vous n’avez aucune idée des risques que vous prenez.
VISALA : C’est pour ça que je suis assez détendue. Comment vous avez su que j’étais dans cette cellule ?
LUI : Je vous observais. Enfin, j’observais votre ami, plus exactement. Le détenu. Il est en danger.
VISALA : Oui, je sais. C’est pour ça que je suis ici d’ailleurs. Longue histoire...
LUI : Je ne veux pas savoir. Et vous ne devriez pas me faire confiance aussi facilement. Ne faîtes confiance à personne dans cette prison.
VISALA : Ne vous inquiétez pas, je crois savoir qui est le coupable, tout sera bientôt terminé.
LUI : Vous vous trompez. Ne faîtes rien pour le moment.
Nous entrâmes discrètement dans le réfectoire, où certains prisonniers commençaient à manger. Mon mystérieux compagnon jeta un regard autour de nous et ne sembla pas satisfait de notre entourage.
LUI : Nous ne pouvons pas parler ici. Les autres cuisiniers doivent vous chercher. Soyez à votre poste dans une heure, je viendrai vous trouver. Ne faîtes rien de suspicieux pendant ce temps. Nous sommes déjà surveillés.
Sans un mot de plus, l’homme s’éloigna d’un pas rapide et ironiquement plutôt suspicieux, comme je me promis de lui faire remarquer plus tard.
Haussant les épaules, je pris la direction de ma cuisine sans grande motivation mais ne fis que quelques pas avant de sentir une main se refermer sur mon bras et m’attirer sans douceur à l’abri des regards indiscrets. Une deuxième se posa sur ma bouche pour m’empêcher de crier de surprise, une initiative judicieuse de la part de mon ravisseur, qui s’avéra pourtant être Jose.
JOSE : Pas de bruit ! J’ai trouvé un truc complètement pecc ! Viens avec moi !
Haussant à nouveau les épaules, je suivis le Meastien vers la cour extérieure, croisant simplement les doigts pour que mes collègues tiennent encore quelques moments sans moi et de préférence sans nouveau cadavre inexpliqué.
Jose m’attira joyeusement à travers le gigantesque enclos qui servait de terrain de jeu aux prisonniers quelques minutes par jour, jusqu’au coin le plus isolé, que même les caméras de sécurité ne semblaient pas couvrir, ce qui ne m’étonnait plus vraiment, connaissant le niveau de sécurité de l’établissement.
Deux hommes étaient assis à une table, l’un torse-nu et l’autre occupé à lui lacérer lentement le dos à l’aide d’une aiguille aussi grosse que ma main.
Jose sauta sur place, manifestement ravi de la surprise qu’il lisait sur mon visage.
JOSE : Un tatoueur ! Non, mieux ! Un tatoueur de prison ! Crois-moi, Visala, si tu dois te faire tatouer, fais-le en prison, ces types sont les meilleurs. Des magiciens ! Je pense même que ça vaut le coup d’aller en prison juste pour les tatouages.
L’homme à l’aiguille leva les yeux de son travail quelques instants, le temps de poser un regard perplexe sur mon uniforme et de grogner d’un air agacé :
LUI : Je ne fais que les détenus habituellement.
JOSE : Oh, elle n’est pas vraiment garde, elle a juste volé un uniforme. Elle est cuisinière le reste du temps.
Les deux hommes nous adressèrent un regard confus, se demandant probablement si nous disions la vérité et estimant en fin de compte que cette explication était plus crédible que l’alternative selon laquelle Proctor m’avait embauchée comme surveillante.
Le tatoueur haussa finalement les épaules avant de nous jeter de sa main libre un vieux classeur à moitié déchiré.
LUI : Si vous voulez, pas mon problème, tant que je suis payé. Choisissez un modèle là-dedans. Je m’occupe de vous dès que j’ai fini avec Ulrich.
Mon cerveau poussa un cri triomphal que je me retins de justesse d’imiter.
VISALA : Ulrich ?
Le large prisonnier leva les yeux vers moi, de toute évidence peu enthousiaste à l’idée d’une conversation avec moi.
ULRICH : Quoi ?
VISALA : Non, rien, c’est juste que... Tu es plutôt connu par ici, j’entends souvent ce nom.
ULRICH : Vraiment ? Et qu’est-ce que les gens disent de moi quand je ne suis pas là, alors ?
VISALA : Oh, que du bien.
Ulrich afficha un rictus menaçant.
ULRICH : Evidemment...
VISALA : Mon ami Luke, par exemple, t’apprécie beaucoup !
Il pouffa brièvement de rire.
ULRICH : Luke ? Tu parles de Bowen, c’est ça ? Ce petit morveux m’aime bien ? Je ne pense pas. Il sait très bien ce qui lui arriverait si je lui mettais la main dessus.
Consciente que ceci était certainement ma seule chance d’interroger notre principal suspect, je décidai de poursuivre la conversation, même si je réalisais bien que le caïd se méfiait de plus en plus de moi, ce que ma curiosité ne faisait rien pour arranger.
VISALA : Oh, je suis désolée, je ne savais pas que... A entendre la façon dont il parlait de toi, je pensais que vous étiez amis.
Le tatoueur posa son aiguille et claqua un pansement sur le dos de son client.
LUI : C’est terminé, Ulrich.
L’homme se leva et referma sa combinaison avant de faire un pas vers moi, me dévisageant de la tête aux pieds du haut de ses deux mètres, comptant de toute évidence sur sa stature menaçante pour accompagner sa mise en garde :
LUI : Tu es curieuse, cuisinière. C’est un défaut que tu ferais mieux de cacher, par ici, surtout avec cet uniforme. Personne n’aime ça, en prison. Prends ça comme un avertissement, parce que j’aime bien le Meastien, et tu es son amie.
JOSE : Oh, Richie, tu vas me faire rougir.
Jose éclata de rire et mit une grande tape amicale sur l’épaule d’Ulrich, dangereusement près de son tatouage tout frais. L’homme m’adressa un sourire plus carnassier que bienveillant avant de s’éloigner d’un pas lent et assuré.
ULRICH : Tu vois ? Si quelqu’un d’autre m’appelait Richie, je l’étranglerais sur place. Mais tout le monde aime le Meastien. Tu choisis bien tes amis, cuisinière. Mieux que tes questions.
Le tatoueur secoua la tête d’un air consterné alors que son client disparaissait et me fit signe de m’installer à côté de lui.
LUI : Tu as choisi ?
Un peu agacée d’avoir recueilli si peu d’informations, je jetai un regard au classeur que Jose tenait ouvert sous mes yeux, pointant du doigt un modèle particulièrement complexe représentant un dragon dévorant une voiture de police, qui ne tiendrait de toute façon pas sur moi. J’aperçus cependant un motif à mon goût sur la page suivante et le présentai fièrement au tatoueur qui ne semblait pas partager mon sentiment mais hocha poliment la tête alors que je prenais place.
LUI : Première fois qu’on me le demande, mais si tu veux...
Je retroussai ma manche et détournai le regard, réalisant seulement à ce moment que je n’étais pas tout à fait amatrice d’aiguilles, et qu’un bon nombre des difficultés que j’avais rencontrées lors de mes études vétérinaires étaient probablement liées à ce détail qui m’avait pourtant jusqu’alors paru insignifiant.
VISALA : Je ne pensais pas que Proctor autoriserait un tatoueur à travailler dans sa prison.
LUI : Alors tu ne connais pas le vieux salaud.
VISALA : Tu veux dire qu’il est tatoué ?
Je m’imaginai le vieil homme à ma place, torse-nu face au magicien, se faisant dessiner une licorne sur la poitrine, et grimaçai de dégoût.
LUI : Oh, non, ce n’est pas son genre. Mais tant qu’il récolte un pourcentage satisfaisant, cet escroc autorisera n’importe quoi dans sa prison. Prête ?
J’acquiesçai en silence, songeant à ces nouvelles révélations, qui confirmaient bien le portrait que Glass nous avait fait du directeur des lieux lors de ma première visite des mois plus tôt.
L’aiguille froide toucha mon poignet et se planta sous ma peau, m’arrachant un cri de douleur qui retentit dans toute la cour sous le regard amusé de Jose et celui exténué du tatoueur.
VISALA : Ce truc fait mal !
LUI : Et tu ne t’es pas posé la question avant de t’asseoir ?
Je levai les yeux au ciel, un peu agacée par sa réaction.
VISALA : Je sais que c’est censé piquer un peu, je ne suis pas stupide. J’ai été surprise, c’est tout.
Je retint ma respiration, me rendant rapidement compte que cela ne servait à rien mais trop fière pour faire machine arrière, et lui fis signe d’un hochement de tête de continuer.
Jose pouffait de rire, assis par terre à quelques centimètres de moi. Je tentai de le frapper de ma main libre mais il m’esquiva sans difficulté. Je le fusillai du regard.
VISALA : Si je survis, Jose, je vais te tuer.
A suivre...