Episode 1

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Jose ouvrit la porte d’un coup de pied. Peut-être un peu excessif, pensai-je, mais la joie dans les yeux du Meastien justifiait bien un peu de casse.
Le petit homme s’enfonça dans son siège, à l’autre bout de la pièce, pétrifié d’avance.
ROXANE : Monsieur Proctor, un plaisir.
VISALA : Salut.
JOSE : Desolé pour la porte, vieux.
Flux haussa un sourcil tout en s’inclinant légèrement pour saluer notre hôte.
FLUX : L’es-tu vraiment, Jose ?
JOSE : Nan mais c’est de la politesse, Flux, espèce de barbare...
Le directeur du centre correctionnel de Thalion laissa tomber sa tête sur son bureau, assez fort pour me faire grincer des dents, me demandant s’il ne s’était pas fait mal. Sa voix s’éleva de derrière l’écran d’ordinateur comme un cri de détresse, devinant déjà que notre présence ne présageait rien de bon quant au reste de sa journée. J’étais pour ma part arrivée à la même estimation.
PROCTOR : Qu’est-ce que vous me voulez, maintenant ?
Roxane s’installa confortablement en face de lui, plantant fièrement ses talons sous son nez au milieu d’une pile de papiers qu’il était en train de feuilleter quand nous étions entrés.
ROXANE : Rien de grave, rassurez-vous...
VISALA : Enfin, quand même, quelqu’un risque de mourir.
Proctor laissa échapper un gémissement, le teint soudain plus pâle.
VISALA : Non, pas vous !
JOSE : Techniquement, il peut pas être si loin de la mort non plus, vu son âge.
VISALA : Oui mais je veux dire, on ne vient pas pour le tuer. C’était important de le préciser.
ROXANE : Si vous avez terminé, tous les deux...
JOSE : Ouais, ouais, on sait, c’est toi qui cause...
Roxane poussa un bref soupir, l’air néanmoins vaguement amusé. Flux tira une chaise à côté d’elle et prit place à son tour, aussi calme qu’à son habitude, alors que Jose et moi faisions quelques pas dans la pièce, examinant sans grand intérêt la décoration monotone de la petite pièce grise.
ROXANE : Merci. Ce que nous voulons, monsieur Proctor, c’est savoir pourquoi l’un de vos anciens pensionnaires nous a contactés à son arrivée à Dimzad pour nous informer que son compagnon de cellule était en grave danger ici.
FLUX : Luke Bowen, précisément.
ROXANE : Le nom vous revient ?
PROCTOR : Evidemment que je me souviens de lui. On ne saccage pas ma prison tous les jours, heureusement !
JOSE : Ca peut s’arranger.
Jose observait nonchalamment la cour intérieure à travers la fenêtre renforcée.
ROXANE : Jose, j’avais pourtant été claire...
JOSE : ... pas de menaces tant que c’est pas nécessaire, ouais, je sais. Ca m’a échappé.
Flux adressa un sourire réconfortant à Proctor avant de poursuivre.
FLUX : L’associé de monsieur Bowen nous a engagés pour veiller à la sécurité de ce dernier et découvrir qui en avait après lui. Nous espérions que vous auriez une piste à nous offrir.
PROCTOR : Bien sur que non ! Je ne suis pas au courant des affaires des détenus ! Les altercations sont fréquentes, ces gens sont des criminels après tout ! S’il s’est fait des ennemis je n’y suis pour rien !
ROXANE : Bien entendu, vous ne pouvez pas tout surveiller personnellement.
PROCTOR : Exactement.
ROXANE : C’est pourquoi nous allons avoir besoin de votre aide pour le faire nous-même, monsieur Proctor.
PROCTOR : Quoi ?
L’homme était de moins en moins à l’aise avec la situation. Le sourire détendu de Roxane ne faisait rien pour le rassurer, et elle le savait très bien.
ROXANE : Ne vous inquiétez pas, vous n’aurez rien à faire.
FLUX : Presque, du moins.
PROCTOR : Mais...
ROXANE : Laissez-moi deviner, pourquoi nous aideriez-vous ?
L’homme resta silencieux. Roxane se redressa et le regarda droit dans les yeux pour répondre à sa propre question.
ROXANE : Vous nous devez bien ça, vous ne pensez pas ?
Proctor déglutit. Flux ouvrit le dossier qu’il tenait sous le bras et sortit de la poche de sa veste un stylo. Le plan était en action.

Deux jours plus tard, je me tenais fièrement au milieu du réfectoire, chargée de remplir les assiettes des détenus aux heures des repas et de ne pas me faire repérer, avait ajouté Roxane sur un ton insistant. Pour le moment, son manque de confiance en moi s’était avéré complètement injustifié.
Ma situation était assez idéale : les autres commis de cuisine n’étaient que trop heureux de me laisser servir les prisonniers qu’ils préféraient tous éviter autant que possible, alors que ces derniers avaient rapidement pris l’habitude de se montrer particulièrement amicaux avec moi, autant pour les cuillerées des sauce supplémentaires que je leur versais en douce malgré les reproches de mes collègues que pour ne pas se faire remarquer par Jose qui, même si personne ne savait exactement s’il était mon père, oncle ou petit ami -- ce qui était glurot -- s’était dès le premier jour fait remarquer et connaître comme l’homme à ne pas provoquer.
Je lui fis un clin d’oeil à son passage, auquel il répondit par un grand signe de la main qui aurait certainement eu plus d’intérêt si je n’avais pas été à moins d’un mètre de lui. Je pouffai de rire et lui servis une dose généreuse de purée avec quelques haricots que je le forçais à manger tous les jours malgré ses contestations.
Flux, qui observait discrètement la scène d’un oeil méfiant, mit un coup de matraque contre un pilier, soucieux de distraire les regards suspicieux qui se posaient sur nous.
FLUX : Plus vite, au service, vous n'êtes pas là pour discuter.
Flux était très professionnel. Il avait même complètement masqué son accent Meastien. Il était si impliqué dans son rôle de gardien que j’en oubliais parfois presque qu’il était bien l’un des nôtres et non pas un autre suspect à qui nous devions cacher notre réelle identité.
Jose aussi semblait souvent négliger ce détail.
JOSE : Qu’est-ce que tu viens de dire, barbiche ?
Flux murmura un “oh bigot” entre ses dents alors que les autres détenus tournaient tous vers nous des yeux pleins d’anticipation, faisant signe à leurs amis que le spectacle allait commencer.
Jose jeta son plateau au sol, ce qui était peut-être un peu excessif, pensai-je, et fit quelques pas vers Flux pour le dévisager d’un air amusé.
Il se pencha vers notre ami pour lui murmurer à l’oreille si fort que j’entendis tout de même chaque mot :
JOSE : Vas-y, frappe-moi, vieux.
FLUX : S’il te plait, ne...
Sans crier gare, Jose envoya Flux à terre d’un violent coup de tête, plongeant le réfectoire dans le chaos. Flux se releva rapidement et poussa un bref soupir avant de frapper Jose aux genoux avec sa matraque, le mettant à son tour au sol, immédiatement rejoint par deux autres gardes qui se jetèrent sur lui et commencèrent à le rouer de coups, faisant de leur mieux pour ignorer les ricanements du Meastien qu’ils détestaient déjà.
Il fallut aux gardiens quelques minutes pour faire revenir le calme, puis Flux aida Jose à se relever avant d’examiner d’un oeil consterné son visage ensanglanté.
FLUX : Bien, plus qu’à t’emmener à l’infirmerie.
VISALA : Oh, bigot...
FLUX : Tu expliqueras tout ça à la doc.
JOSE : On va se marrer.

A suivre...